Taxe carbone : quel impact environnemental et économique dans le secteur manufacturier français ?

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par Damien Dussaux, Economist, Direction de l’environnement, OCDE

En septembre 2019, le Parlement français a adopté la loi climat-énergie qui fixe l’objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, conformément à l’accord de Paris sur le climat de 2015. La neutralité carbone implique de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) de 75 % d’ici 2050 par rapport aux niveaux de 1990 et de compenser les émissions résiduelles par la capture et le stockage du carbone présent dans l’atmosphère.

Afin d’atteindre cet objectif, le gouvernement français a élaboré une “Stratégie Nationale Bas-Carbone”, qui sert de feuille de route pour la transition vers de faibles émissions de carbone dans chaque secteur de l’économie. Par exemple, les émissions de GES de l’industrie – qui représentent près d’un cinquième des émissions en France, soit l’équivalent des émissions totales de GES de la Roumanie – devront être réduites d’un quart au cours des dix prochaines années selon le plan sectoriel proposé.

La France met actuellement en œuvre deux principaux mécanismes de tarification du carbone afin d’inciter les acteurs économiques à réduire leurs émissions. Le système européen d’échange de quotas d’émission (SEQE-UE), en place depuis 2005, couvre 75 % des émissions industrielles françaises. En 2014, la France a également introduit une taxe carbone sur la consommation de combustibles fossiles, qui a débuté à 7 euros par tonne de CO2 et s’élève désormais à 45 euros par tonne.

Ces politiques de tarification du carbone de plus en plus ambitieuses ont été mises en place dans un contexte de hausse des coûts énergétiques dans l’industrie et suscitent des inquiétudes quant à leurs impacts sur la compétitivité du secteur manufacturier français. À première vue, ces préoccupations semblent être justifiées par les tendances récentes, puisque la production et l’emploi total dans le secteur ont diminué respectivement de 5 % et 26 % entre 2001 et 2016.

Un récent rapport de l’OCDE, “Les effets conjugués des prix de l’énergie et de la taxe carbone sur la performance économique et environnementale des entreprises françaises du secteur manufacturier“, apporte un éclairage sur cette question. Cette étude est la première à estimer l’impact des prix de l’énergie et de la taxe carbone sur la performance environnementale et économique des entreprises françaises à partir de données à la fois au niveau des entreprises et au niveau des branches d’activité.

Le rapport combine des données sur la consommation d’énergie et les émissions de carbone au niveau des entreprises provenant de l’enquête annuelle sur la consommation d’énergie dans l’industrie (EACEI) de l’Insee avec les données sur les performances financières et économiques de la Direction Générale des Finances Publiques. L’ensemble des données couvre 8 000 entreprises françaises observées annuellement sur une période de seize ans (2001 à 2016) et qui sont représentatives de l’ensemble du secteur manufacturier.

Que nous apprend l’étude de l’OCDE ?

Le premier enseignement de l’étude est qu’au niveau des entreprises, une augmentation de 10 % des coûts énergétiques entraîne à court terme une baisse de 6 % de la consommation d’énergie, une diminution de 9 % des émissions de carbone et une diminution de 2 % du nombre d’employés à temps plein. Toutefois, ces emplois ne sont pas détruits car les salariés concernés sont embauchés dans d’autres entreprises. Au niveau de l’industrie, l’étude ne trouve aucun lien statistique entre les prix de l’énergie et la destruction nette d’emplois, ce qui indique que les emplois détruits dans les entreprises touchées sont compensés par des embauches dans d’autres entreprises de la même branche d’activité au cours de la même année.

Deuxièmement, ces effets varient d’une industrie à l’autre et en fonction de la taille et de l’intensité énergétique des entreprises. Par exemple, face à une même augmentation du coût de l’énergie, les entreprises de l’industrie de l’habillement réduisent leurs émissions de carbone deux fois plus que les entreprises produisant des minéraux non métalliques. Le redéploiement des travailleurs dans l’industrie agroalimentaire est deux fois moins important que dans l’industrie métallurgique. En moyenne, les grandes entreprises à forte intensité énergétique réduisent davantage leurs émissions de carbone et redéployent davantage de salariés que les petites entreprises efficaces en énergie.

Le rapport est ainsi en mesure de quantifier l’effet causal de la taxe carbone sur le secteur manufacturier depuis son introduction en 2014. La Graphique 1 montre la taxe carbone sur l’axe de gauche (ligne verte) ainsi que les impacts de la taxe carbone sur l’emploi total du secteur manufacturier français (ligne violette) et ses émissions de carbone (ligne rouge) sur l’axe de droite. En cinq ans, la taxe carbone a permis de réduire les émissions de carbone d’environ 5 %. L’effet net sur l’emploi est beaucoup plus faible et même légèrement positif à +0,8 %.

Enfin, le rapport envisage un scénario dans lequel le taux de la taxe sur le carbone serait doublé par rapport à son taux actuel de 45 € par tonne de CO2. Le Graphique 2 montre l’effet simulé de l’augmentation de la taxe sur les redéploiements de salariés et les émissions de carbone pour chaque branche d’activité. Ces redéploiements de salariés ne sont pas des pertes nettes d’emplois, mais le nombre de personnes contraintes de changer d’emploi (au sein d’une même industrie ou entre industries).

La simulation du doublement du taux de la taxe carbone met en évidence une grande hétérogénéité entre les branches d’activités. Plusieurs secteurs, tels que l’ameublement, les produits du bois, le papier et le textile, connaissent de fortes réductions de leurs émissions de carbone, avec un faible redéploiement de salariés. Au contraire, les secteurs de l’automobile et du plastique connaissent des redéploiements de salariés plus importants et des diminutions plus faibles de leurs émissions de carbone. D’autres industries, telle que celle des produits métalliques, combinent une forte réaffectation des emplois et une réduction considérable des émissions en raison de leur taille importante.

La hausse des prix de l’énergie et de la taxe carbone permet de réduire les émissions de carbone, mais les coûts liés aux redéploiements de salariés doivent être pris en compte…

Si la taxe carbone permet au secteur manufacturier français de respecter son budget carbone et n’affecte pas négativement l’emploi total, elle génère cependant des redéploiements de salariés non négligeables dans plusieurs branches d’activité. Parce que ces redéploiements ont des impacts redistributifs et génèrent des coûts pour les travailleurs qui sont contraints de changer d’emploi, ces résultats mettent en évidence la nécessité de mettre en place des politiques complémentaires sur le marché du travail qui minimisent les coûts pour les travailleurs concernés et facilitent les ajustements en termes d’emplois entre les entreprises. En outre, comme ces coûts de transition sont généralement fortement localisés dans des régions spécialisées dans les activités industrielles énergivores, ils peuvent également se traduire par des effets régionaux potentiellement importants et donc par un coût politique élevé.

Référence:

Dussaux, D. (2020), “Les effets conjugués des prix de l’énergie et de la taxe carbone sur la performance économique et environnementale des entreprises françaises du secteur manufacturier”, OECD, No. 154, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/b8ca827a-fr.

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